
Un petit teaser pour décrire l’ambiance générale du polar :
https://youtu.be/K-0wrHkWwxM
Lake Wayne, vendredi 1er novembre 1985.
Un véritable déluge s’abattait sur la région depuis plusieurs jours.
Des bourrasques tourbillonnantes et cinglantes transformaient les paysages familiers de Louisiane en autant de visions d’apocalypse.
Des bayous submergés par plus d’un mètre de précipitations jusqu’au nord de l’état, l’ouragan Juan semait la désolation en terres cadiennes. Il avait commencé sa course destructrice dans le golfe du Mexique en ravageant deux plateformes pétrolières et provoquant une catastrophe industrielle.
Bien plus que les pertes financières, c’était plus d’une cinquantaine de morts que l’on déplorait dans l’ensemble des états de l’Atlantique nord.
La région de Brooke avait été, quant à elle, relativement épargnée. On ne recensait que des dégâts matériels et quelques blessés légers.
Des panneaux de signalisation arrachés et plusieurs routes inondées étaient à dénombrer, mobilisant les secours pour rétablir la circulation au plus vite.
Les températures avaient également chuté de plus de quinze degrés, surprenant les habitants dans leur douceur automnale.
En ce jour, le vent s’était un peu calmé, mais la pluie semblait ne pas vouloir s’arrêter.
Les balais d’essuie-glace à leur vitesse maximale, le véhicule de police s’immobilisa près de la dépanneuse.
Le shérif jeta un coup d’œil aux deux hommes s’invectivant sous les trombes d’eau, remonta son col et poussa un profond soupir avant d’ouvrir sa portière pour les rejoindre dans le déluge.
-C’est bon, tout le monde se calme ! lança-t-il à son adjoint ainsi qu’au conducteur de la dépanneuse. Vous, remontez dans votre camion et attendez les instructions ! et toi, fais-moi un point rapide !
-Bien sûr shérif, commença l’adjoint en se dirigeant vers la voiture couverte de vase, crochetée à la dépanneuse, au bord d’une étendue boueuse. Voilà : un glissement de terrain causé par les pluies diluviennes a complètement vidé l’eau de l’étang en contrebas. Dave Hanson, le fermier propriétaire du terrain, a découvert ce véhicule au fond de ce qui était son plan d’eau. Il a attendu que la tempête se calme un peu pour appeler le dépanneur.
Le shérif Blanchard observa les contours du véhicule, il s’agissait d’une Chrysler Windsor du milieu des années cinquante.
-Continue, Will.
-Là-dessus, le fermier a un mauvais pressentiment et se rue pour nettoyer la vitre côté conducteur, supposant qu’il y a quelqu’un au volant et : Bingo !
-Bingo ?
-Oui, heu… je voulais dire qu’il y a bien quelque chose sur le siège conducteur ! Ça pourrait être les restes d’un corps. La voiture aura sans doute quitté la route et plongé dans l’étang…
Ted Blanchard fit le tour du véhicule, plaça ses mains près de son visage en se
collant à la vitre. Il scruta l’habitacle et, parmi des lambeaux de textiles boueux et un cloaque indescriptible, il crut reconnaître des ossements.
-Le fermier a appelé au poste pour signaler sa découverte, poursuivit Will, quant au dépanneur, il ne souhaitait pas être mêlé à une histoire de cadavre et voulait prendre la tangente ! Et là, j’étais en train d’essayer de le convaincre de vous attendre.
-Tu as bien fait.
Le shérif s’approcha de la dépanneuse en évitant les larges flaques et s’adressa au chauffeur qui s’impatientait, le visage renfrogné.
-Cruz Mendes, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, c’est bien vous, non ? dit-il en
lisant les inscriptions sur la portière.
-Ben oui, c’est moi ! aboya l’homme.
-Eh bien M. Mendes, en ce jour et à cette heure, votre véhicule est réquisitionné jusqu’à votre garage, et nous vous suivrons dès que vous aurez chargé la
Chrysler !
L’homme grommela en installant les deux rampes à l’arrière de son camion, surveillant les attaches et s’assurant du bon déroulement de l’opération en multipliant les allers-retours de part et d’autre du plateau.
Puis, d’un revers de manche, il balaya de son front un mélange de sueur et de pluie et se hissa dans la cabine en jetant un œil noir aux policiers.
Les trois véhicules démarrèrent en file indienne, formant un convoi funeste que le mauvais temps rendait plus sombre encore.
Par radio, Ted appela sa réceptionniste, lui demandant de contacter le docteur Parker afin qu’il les rejoigne au garage Mendes.
L’eau ruisselait sur le macadam par vagues déferlantes et les roues des voitures fendaient les flaques en gerbes saumâtres, rendant la visibilité encore plus délicate.
Le shérif repensa à l’hypothèse de la sortie de route émise par Will. Il tenta de se remémorer la topographie de la scène et se promit d’en dresser le plan.
La zone industrielle apparut enfin. Il fallut encore longer de grands bâtiments impersonnels aux bardages de tôle sur Peiben road avant d’atteindre le garage Mendes.
La lourde porte métallique s’ouvrit lentement alors que les phares du camion transperçaient le rideau de pluie.
Les véhicules de police s’engouffrèrent à leur tour dans le hangar sous la lumière criarde d’une rangée de néons.
Des effluves d’huile de moteur, de graisse et d’essence mêlées montèrent instantanément aux nez des policiers.
À l’extrémité d’un palan pendait le moteur d’une Dodge autour duquel deux mécaniciens s’affairaient.
Mendes bondit hors de sa cabine avec l’agilité d’un félin.
-Écoutez shérif, j’ai été cool ! On m’a demandé de sortir cette bagnole sous le déluge, je l’ai fait ! Votre adjoint m’a quasiment arrêté parce que je voulais repartir et vous m’avez obligé à la tracter jusqu’ici ! Maintenant, j’aimerais bien que vous me disiez où coller cette épave, parce que : plus loin elle sera, et mieux je me porterai !
-Allons allons, M. Mendes, où est passé votre sens du devoir ? Participer à une enquête policière ne vous excite pas ? Vous serez dédommagé pour votre contribution, ne vous inquiétez pas ! Mais pour l’instant, je dois faire appel à votre patience ! commença Ted en caressant la Chrysler du regard. En effet, tant que je ne saurai pas ce qui se trouve dans cette voiture, cette enquête restera officieuse. Elle n’existera pas !
Le regard du shérif plongea brusquement dans celui du garagiste.
-Et vous ne voudriez tout de même pas être payé pour une intervention qui n’a pas existé, M. Mendes ?
-Euh non, bien sûr ! bredouilla l’homme mollement.
À son tour, une petite berline fit son entrée et se rangea près d’une pile de pneus usagés. Un petit homme rond en descendit, une mallette de cuir noir à la main.
Ted s’approcha de l’homme tandis que le garagiste manœuvrait pour déposer la Chrysler sur le sol crasse.
-J’ai fait au plus vite malgré la tempête, car j’avoue avoir été intrigué par l’appel de votre collaboratrice ! Mais je ne suis pas médecin légiste, le savez-vous, shérif ? questionna-t-il, amusé.
-Je n’ai pas besoin d’un légiste pour le moment, docteur ! Je veux juste l’avis de quelqu’un de suffisamment calé, capable de différencier des os humains des restes d’un animal ! répondit Ted alors que l’ensemble de la voiture touchait terre dans un chuintement métallique.
Le petit groupe s’approcha lentement de la portière côté conducteur.
Malgré la saleté et l’opacité de la vitre, le docteur Parker distingua effectivement quelques ossements.
-Dieux du ciel ! s’exclama le praticien.
-Will, prends l’immatriculation et essaie de me trouver l’identité du propriétaire, dit Ted en tentant d’ouvrir la portière, sans succès.
-M. Mendes, je crois que nous allons encore avoir besoin de vous et de vos outils !
Le garagiste, en soupirant, attrapa un pied-de-biche posé contre un établi, l’introduisit dans le montant de la portière et l’actionna avec force à deux reprises. La porte céda et s’ouvrit dans un craquement terrifiant.
Immédiatement, de l’habitacle croupissant s’exhalèrent de fétides émanations qui repoussèrent Cruz Mendes de deux mètres en arrière dans une envolée de jurons.
-L’enfer est vide, tous ses démons sont ici ! murmura Ted.
-Shakespeare est on ne peut plus de circonstance, shérif ! dit le médecin en sortant un masque respiratoire de sa mallette.
Tandis qu’il enfilait des gants en latex, le docteur pria le garagiste d’étendre une bâche au sol afin qu’il puisse y déposer les objets de son analyse.
Mendes s’exécuta en râlant, ce qui ne surprit personne.
-Voyons le coffre à présent ! dit Ted en se saisissant du pied-de-biche.
La serrure se rompit à la première tentative, le coffre s’ouvrant sur un sac de voyage coincé par une roue de secours. L’odeur prégnante le força à se couvrir le nez d’un mouchoir, avant de déposer le sac au sol et d’en actionner la fermeture avec d’infinies précautions.
À l’intérieur, il tomba sur une enveloppe kraft abîmée qui contenait dix billets de cinquante dollars délavés, puis il prit le premier vêtement de la pile, maculé de limon, qui s’avéra être une robe à pois, en partie désagrégée.
Accoudés au moteur Dodge, les deux mécaniciens avaient stoppé net leur travail et retenaient leur souffle à chaque os disposé méticuleusement par le médecin sur la toile plastifiée.
D’un moulinet du bras, Mendes leur intima l’ordre de se remettre au travail.
Will raccrocha sa radio et rejoignit le shérif avec une mine mitigée qui trahissait son insatisfaction.
-Voilà shérif, c’est pas génial, mais c’est tout ce qu’on a pour l’instant ! Le propriétaire de la Chrysler se nomme Melvin Roth, mais la voiture n’est plus assurée depuis 1967, date de son départ de la ville. Aucune plainte pour vol n’a été déposée non plus, en gros, cette voiture a cessé d’exister, il y a près de vingt ans ! On continue les recherches dans les fichiers de la sécurité sociale concernant le bonhomme.
-Dites-moi docteur, est-ce que le nom de Melvin Roth vous dit quelque chose ? demanda Ted.
/Comme ça non, mais je vérifierai dans mes archives.
Ted resta songeur, hypnotisé par les ossements manipulés par le médecin. Comment cette carcasse de tôle avait-elle pu s’évanouir dans le temps ?
-Il s’agit bien d’ossements humains, shérif ! Plus exactement ceux d’une femme, si j’en crois la taille et la forme du bassin !
-Une conductrice fantôme au volant d’une voiture fantôme… dit Ted alors que le docteur Parker se relevait avec difficulté.
-Mais je vous dis tout ça sous réserves, en attendant qu’elle passe entre les mains d’un véritable légiste ! conclut le petit homme.
La synthèse de ces observations plongea le shérif dans la circonspection, son regard passant des ossements exposés, à la robe.
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Delphine 83
23/01/2020